LES 7 SAMOURAÏS, Le chef d’œuvre de AKIRA KUROSAWA


Les 7 Samouraïs d'Akira Kurosawa – 1954 – film… par LesBAdeVivalaCinema

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En 1672, au Japon. Las des incursions répétées des brigands qui s’emparent de leurs récoltes et de leurs femmes, les paysans d’un petit village décident, sur les conseils de l’ancien Gisaku, de faire appel à des samouraïs… Il leur faudra trouver des samouraïs suffisamment pauvres pour accepter de combattre pour de la nourriture.
Quatre villageois sont chargés de lees rechercher. Ils réussissent à convaincre le samouraï Kambei de les aider : celui-ci va recruter ses compagnons en leur faisant passer des épreuves. C’est finalement six samouraïs et Kikuchiyo, un jeune paysan qui veut se faire passer pour tel, qui arrivent dans le village. Là, lis vont apprendre aux villageois à se battre, à fortifier leur village…

Sortie en salle le 10 juillet 2013
Source et © La Rabbia / Le Pacte

Revue media

 
 
 
 

«Les Sept Samouraïs» non sabré

Next.Liberation.fr – par Bruno Icher
publié le mardi 9 juillet 2013

Lorsqu’un film tourné en 1954 se rappelle à notre bon souvenir, à ce point accompagné d’un label de chef-d’œuvre indiscutable, il paraît un peu vain de revenir sur ce qui a été écrit, et bien écrit, par des générations de critiques, d’historiens du cinéma et d’admirateurs.

 

“Les Sept Samouraïs”: le classique ressort en salle en version restaurée

LesInRocks.com – par Léo Soesanto
publié le mardi 9 juillet 2013

Dans un va-et-vient harmonieux, constant, Les 7 Samouraïs module l’humour et la gravité, le souffle et l’intime, l’attente et l’action. Les morceaux de bravoure ont la grandeur épique d’un film de guerre jamais dupe (la bataille finale dans la pluie et la boue), la puissance intérieure du théâtre nô lorsqu’il s’agit de faire ruminer les samouraïs en intérieur ou la nuit, éclairés à la flamme.

 

Le retour éblouissant des « Sept samouraïs »

La-Croix.com – par Arnaud Schwartz
publié le mardi 9 juillet 2013


Superbement restauré, cette version intégrale laisse tout son souffle et sa complexité au propos. Étude de caractère, réflexion sur l’art de la guerre, confrontation de classes, résistance à la fatalité, amours impossibles et amères victoires… Avec ce spectacle aussi éblouissant qu’haletant, Kurosawa offre une magnifique méditation sur le destin, le libre-arbitre et le sens de la vie.

 

«J’ai choisi mon arme avec Brad Pitt»

Next.Liberation.fr – propos recueillis par Bruno Icher
publiés le mardi 2 juillet 2013

La star :
«A mon arrivée à Malte, j’ai rencontré Brad Pitt, très décontracté, très sympathique, qui me prend immédiatement sous son aile. On fait une lecture, et tout le monde me félicite, vaguement rassuré, car ils savaient que je ne n’étais pas un acteur. Ensuite, on me demande d’aller avec Brad choisir mon arme. Nous voilà sous une tente gigantesque, remplie de longues tables où sont disposées toutes les armes imaginables : pistolets, fusils, mitraillettes, lance-roquettes… C’était comme le petit-déjeuner d’un grand hôtel. Je leur ai dit que je n’en porterai pas, car le vrai patron du Mossad, que je connaissais, n’en portait jamais.

 

 
 
 

A PROPOS DE KUROSAWA

« Méticuleux comme un démon, audacieux comme un ange »
  • « Pour moi c’est Kurosawa qui a rompu définitivement la narration linéaire. Et je crois que nous tous, réalisateurs, qui jouons avec cela, nous lui sommes redevables »
    Alejandro Gonzales Inarritu (21grammes, Babel)
  • « Lui s’intéresse déjà à l’être humain et à sa vie intérieure »
    Abbas Kiarostami (Le goût de la cerise)
  • « Chaque fois que je tourne un film, qu’il s’agisse d’un film d’action, d’une comédie ou d’un film de guerre, je regarde Les 7 Samouraïs. Je demande à mon chef opérateur de regarder Les 7 Samouraïs, et aussi au chorégraphe. Pour tous mes films, même pour un film comme Mission impossible 2 je me réfère à ce film. Les 7 Samouraïs est un film inoubliable ! »
    John Woo (Volte-face, Les 3 Royaumes, The Killer)
  • « Kurosawa a eu une grande influence sur ma vie »
    Clint Eastwood
  • « Je pense que Kurosawa a beaucoup inspiré ou influencé mon cinéma. Pour représenter l’espace il est le meilleur en termes de mise en scène »
    Bong Joon-ho
  • « Kurosawa, avec sa façon de raconter les histoires a réuni, à sa manière, les 2 hémisphères du monde »
    Martin Scorsese
  • Extraits du documentaire réalisé par Catherine Cadou : « Kurosawa, la voie »

LES SEPT SAMOURAÏS : L’histoire

Quatorzième film de Kurosawa, c’est celui où il décide, pour la première fois de parler de cette période des guerres civiles qui ravagent le Japon du XVIème siècle. C’est une époque qui le fascine car, selon lui, c’est le dernier siècle où l’individu peut choisir son destin. Même si l’on naît samurai ou paysan, on peut encore, avant la « glaciation sociale » qui sera instaurée au début du XVIIeme siècle par les shogun, se rallier à tel ou tel clan et vivre, paradoxalement, une vie d’homme libre. Plusieurs des ses films les plus éclatants ont, par la suite, eu cette époque pour cadre : Le Château de L’Araignée, La Forteresse cachée, Kagemusha et Ran. Ce n’est pas un hasard si l‘histoire se déroule en trois temps, les trois temps du théâtre Nô, qu’il affectionne particulièrement, JO/HA/KYU : prologue / destruction- rupture/ accélération. Premier temps : JO / Exposé de la situation et présentation des personnages En haut d’une colline, une cavalcade infernale se détache sur un ciel menaçant. En contrebas, un village d’apparence paisible. Les bandits qui viennent de rançonner un autre village décident de revenir plus tard quand la moisson sera faite. Un paysan a tout entendu et rapporte la sinistre nouvelle à ses voisins, en bas, réunis sur la place du village. Que faire ? Emmenés par Rikichi, un paysan dans la force de l’âge et animé d’une haine furieuse contre les bandits dont on saura plus tard qu’ils lui ont ravi sa femme, ils décident de se défendre et d’engager des samurai pour les aider dans ce combat. Magnifiques portraits de paysans, les uns résignés qui ploient sous le fardeau des exactions des seigneurs, des guerriers et des bandits et les autres qui refusent de continuer à subir et qui prennent leur destin en main. Pour la cohésion nécessaire du groupe, Kurosawa avait fouillé la vie de chacun et même établi une sorte d’arbre généalogique du village selon lequel les 101 villageois entretenaient des liens de parenté plus ou moins rapprochés. Quatre paysans partent au bourg pour tenter de recruter les samurai qui vont les défendre. Comme les paysans, on les découvre, un à un, avec leurs traits de caractère bien affirmés et leurs tics de langage propres à chacun. Même s’ils sont de vrais samurai, ils n’ont pas l’arrogance de leurs congénères et incarnent au mieux le Code du guerrier. Kanbei qui s’impose comme le chef avec sa sagesse et son esprit de stratégie remarquable. Katsushiro, le jeune samurai de bonne famille qui a quitté les siens pour apprendre le métier des armes à la dure, Gorobei, le bon vivant qui suit Kanbei parce que, tout simplement, il en aime la personnalité. Shichiroji, l’ancien bras droit, compagnon de nombreux combats, perdu de vue et retrouvé qui n’hésite pas à repartir pour cette entreprise même si elle doit se conclure par la mort. Heihachi, le boute en train, prêt à toutes les aventures lui assurant son bol de riz quotidien. Et Kyuzo, le maître de l’art du sabre, incarnation de MIYAMOTO Musashi, le sabreur mythique de l’histoire du Japon. Le septième samurai , Kikuchiyo, est carrément atypique puisqu’il a été écrit par Kurosawa comme un monstre ou plutôt un mutant produit par ces guerres civiles qui lézardent la société. D’origine paysanne, il en a gardé le langage mais il a grandi parmi les samurai dont il n’a, cependant, pas acquis le sens de la discipline. Hyper sensible, son identité incohérente en fait un personnage d’une force, d’une truculence et d’une inventivité exceptionnelles.
Deuxième temps : HA La destruction, la rupture. La rencontre entre les samurai et les villageois entraine des remises en question de part et d’autres et cet apprentissage d’un sort commun détruit les codes préexistants. Même s’ils sont allés les chercher, les villageois se méfient des samurai qui portent beau et sont à leurs yeux, des prédateurs. Les samurai croyaient être accueillis en héros et sont déconfits par l’accueil glacial qui leur est réservé. Il faut la ruse du mutant Kikuchiyo, démoniaque et ravi pour mettre tout le monde d’accord sur ce qui reste à faire : travailler ensemble à l’élaboration d’un système de défense efficace contre les bandits. A d’autres moments, il faudra le charisme de Kanbei, le chef, le sage, pour faire rentrer les villageois dissidents dans le rang. Les barrières sociales volent et les samurai découvrent les sacrifices consentis par les paysans pour pouvoir les accueillir. Ils décident de partager leur repas de luxe, le riz offert en guise de rémunération, avec les enfants du village. Les paysans, de leur côté, sont confrontés à leurs infâmies par les samurai qui ne supportent pas de les voir se pavaner avec un butin prélevé sur leurs frères d’armes pourchassés et, qui sait, achevés par ces villageois qu’ils viennent protéger. Pendant ce temps naît une belle histoire d’amour entre une jeune et jolie paysanne et le plus jeune samurai, ignorant la séparation des classes pas encore devenues castes.. Fureur du père et embarras des samurai. Troisième temps : KYU L’accélération Tout le dispositif défensif est mis en place parallèlement aux travaux des champs qui rythment la vie de ces alliés improbables. Les paysans s’entraînent au maniement des lances de bambous tandis que les samurai veillent au bon déroulement des travaux des champs et à la croissance du riz dans les rizières. Avec le temps de la moisson, la venue des bandits est annoncée par l’arrivée en éclaireurs de trois espions dont le survivant servira d’informateur pour les samurai en embuscade. Les bandits sont au nombre de quarante. Il faut en tuer une dizaine pour rééquilibrer les forces. Guidés par Rikichi, trois samurai partent attaquer de nuit le camp retranché des bandits et y mettent le feu. On découvre alors le secret de Rikichi : enlevée par les bandits, sa femme était devenue leur esclave sexuelle. Trop détruite pour affronter le regard de son mari venu la libérer, elle choisit de mourir dans l’incendie du camp. La bataille va se dérouler sur trois jours avec le combat décisif au cœur du village, que Kurosawa décide de tourner sous une pluie diluvienne mettant encore plus en valeur le courage et la solidarité de tous ces personnages exceptionnels et inoubliables que nous avons appris à connaître tout au long du film.
 
 
 

Les Sept Samouraïs Récits d’un tournage épique

Quand le tournage a commencé le 25 mai 1953, personne ne pouvait imaginer qu’il durerait près d’une année et qu’il battrait pendant très longtemps les records de coût, de durée et d’héroïsme au Japon. Alors qu’il devait, à l’origine durer 71 jours, il s’est prolongé jusque dans les grands froids de février et les chutes de neige ont été le prélude aux scènes hallucinantes de combat sous une pluie diluvienne dans un terrain devenu un véritable cloaque. Basé sur un scénario particulièrement fouillé, écrit à six mains pendant une « mise en conserve » volontaire de 45 jours dans une auberge en bord de mer, ce film a été pensé par Kurosawa comme un western japonais. Il lui fallait reproduire sur le sol de son pays la puissance et la vivacité de ces films d’action qui avaient fasciné son enfance. A défaut de pouvoir filmer les chevaux lancés au galop dans de grandes étendues désertiques, il a imaginé la bataille finale sous des torrents d’eau car « à Hollywood, ils ne pourraient jamais le faire» ! Pour arriver à tourner le film qu’il avait en tête, Kurosawa a mis au point une stratégie imbattable : il décida de tourner toutes les scènes autres que les scènes de bataille et, prétextant le risque de chutes de neige qui causeraient un retard supplémentaire, se fit prier pour montrer aux administrateurs de la Toho un premier montage qui se terminait... à la scène où Kikuchiyo hisse l’oriflamme des samouraïs sur un toit et trépigne de joie en annonçant l’arrivée des bandits. Eblouis mais frustrés, les grands patrons furieux se virent contraints de le laisser finir son film. Comme, en plus, conformément aux mises en garde de Kurosawa, il s’est mis à neiger ce soir-là, le tournage n’a pu reprendre que dix jours plus tard et encore ! Seulement après avoir utilisé des tombereaux d’eau pour faire fondre la neige ! Le terrain était si détrempé que les fers des chevaux restaient happés dans la boue et qu’après une journée de tournage, Kurosawa était enfoncé si profondément dans le sol qu’il fallait le tirer de là « comme un navet que l’on arrache ». Il faisait un froid de loup et ce fut un miracle que personne n’ait attrapé la crève, surtout Mifune qui était pratiquement nu sous son armure. Les difficultés ont commencé dès le début : le village décrit dans le scénario comme adossé à des collines avec un chemin à l’ouest , des rizières au sud, un pont à l’est devait être facile à trouver. Mais les deux équipes envoyées en repérage ont eu beau chercher dans tout le pays pendant deux mois, elles sont revenues bredouilles. Il a fallu répartir les scènes sur cinq lieux de tournage et celles qui impliquaient des chevaux étaient souvent commencées en un lieu et terminées dans le décor construit à l’extérieur des studios de la Toho à Tokyo. Il en allait de même pour les scènes de foule autour du moulin tournées à Izu pour lesquelles on a dû construire le pont en deux exemplaires identiques à Izu et à Tokyo. Et la fameuse scène où Kikuchiyo enfourche le cheval de Manzô fut tournée près de Gotemba tandis que les badauds d’abord admiratifs puis goguenards ont été filmés à Tokyo... Formidables défis de continuité et de raccords de temps, de luminosité, et de mouvements qui expliquent le retard extravagant pris par ce tournage épique. Il y a dans le film deux scènes d’incendie impressionnantes. Celle du camp retranché des bandits avec l’apparition de la très émouvante épouse de Rikichi. Et celle du moulin où une jeune femme transpercée par une flèche confie son enfant à un Kikuchiyo bouleversé. . Dans les deux cas, le feu a pris trop vite et trop fort sans laisser le temps nécessaire aux acteurs pour jouer leur partition dramatique. Dans les deux cas, il a fallu reconstruire partiellement les décors pour que les scènes puissent prendre leur rythme. Tout ceci en présence des équipes de pompiers pas toujours disponibles au beau milieu de la sécheresse de l’été. Dans l’incendie du camp des bandits, le vêtement de prix de la courtisane fut réduit en cendres et Rikichi perdit connaissance sous le coup de la chaleur ; il eut même les sourcils brûlés et le visage couvert de cloques. Il parle encore des larmes qu’il a vu couler des yeux de Kurosawa qui était pourtant à bonne distance.
Si ce tournage s’est révélé si long, c’est aussi dû au perfectionnisme de Kurosawa qui sera éclatant dans ce film. Les anecdotes en sont innombrables : pour donner au galop des chevaux une plus grande rapidité, le chef accessoiriste a dû inventer et produire les cendres de bois répandues sur le sol qui donnent des tourbillons de poussière faisant toute la différence. De même pour les planchers de l’auberge du bourg où se rendent les paysans pour chercher des samouraïs, le chef décorateur a développé une technique de vieillissement accéléré des planches de hêtre brûlées au feu de bois, noircies et imprégnées de boue pour donner une patine tout à fait convaincante dans les plans rapprochés. Tous les assistants, et même Kurosawa, participaient d’ailleurs, à ces travaux pratiques en fonction de leurs disponibilités sur le plateau. Ils savaient tous que le cinéma du maître était une esthétique de l’ombre et de la lumière, l’ombre pour les formes et la lumière pour la beauté. Dans sa quête de la lumière parfaite, Kurosawa a utilisé des miroirs pour faire étinceler les yeux de la jeune paysanne amoureuse. Pour que les paysans, souvent des amateurs, soient plus convaincants, il leur demandait de vivre dans leurs costumes et d’habiter dans « leurs » cabanes avec « leurs » enfants. Une autre difficulté de ce tournage était la multiplicité des scènes où il fallait voir l’ensemble des samouraïs comme par exemple cette scène où, du sommet de la colline, ils découvrent le village. Kurosawa voulait que l’on voie Rikichi pointer du doigt le village devant les sept samouraïs plus ou moins alignés. Une journée de préparation, de mise en place minutieuse pour éviter qu’un samouraï n’en cache un autre, de répétitions pour un plan de 16’’ tourné à 100 km de Tokyo, c’était presque banal pour ce film hors-norme. Mais il fallait la lumière du coucher du soleil et, ce jour-là, elle fut trop fugace pour que le chef opérateur puisse la saisir. Le tournage dut être reporté... Le perfectionnisme n’est pas la seule caractéristique du talent de Kurosawa. Son autre trait de génie est un bon sens très exigeant. C’est ce bon sens jouant avec la nécessité qui lui a fait inventer le tournage à caméras multiples. Pour tourner les fameuses scènes de bataille sous une pluie diluvienne alimentée par 7 camions citernes de 4 tonnes d’eau, ce n’était ni judicieux ni pratique de tourner plan par plan avec des focales et des angles de prises de vues différents. Cependant, dès le début, Kurosawa a imaginé ce système de tournage comme une préparation du montage qu’il a toujours assuré avec un brio rare. Pour les scènes de bataille dans la boue, il a disposé jusqu’à quatre caméras dont les principales étaient fixes et une mobile confiée à un jeune assistant qui était libre de ses choix et qui deviendra le chef opérateur de ses derniers films en succédant plus tard au chef opérateur des Sept Samouraïs. Pour Kurosawa, ce système de tournage n’a jamais été imaginé comme une garantie contre des prises manquées mais bien comme une multiplication d’opportunités pour son montage afin d’y imprimer le style et le rythme qui feront son cinéma. Le dernier plan tourné dans cet « enfer de pluie » est celui où Katsushiro, le jeune samouraï, rendu fou de douleur par la mort de Kyuzo, le maître sabreur, se roule dans la boue quand il apprend qu’il n’y a plus de bandits et qu’il ne pourra donc pas venger son héros. Nul doute qu’après le clap de fin, Kurosawa et toute l’équipe ont poussé un soupir de soulagement. Ce fut un tournage éprouvant mais Kurosawa avait 43 ans et il avait avec lui une équipe de jeunes gens dans la force de l’âge galvanisés par la puissance visionnaire de leur metteur en scène. Leur endurance et leur enthousiasme se retrouvent dans le film même s’ils ont reconnu, plus tard, qu’ils ne pourraient jamais recommencer pareille aventure. Catherine CADOU
 
 
 

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Akira KUROSAWA Souvenirs personnels

« Je ne sais pas ce qu’est le cinéma. C’est pour cela que je continue de faire des films. » Akira KUROSAWA
Dite par un autre que lui, cette phrase pourrait sembler une pirouette pour évacuer la tension qui entourait chacune de ses déclarations publiques, souvent retransmises devant des millions de spectateurs. Mais c’était, en fait, l’expression la plus sincère de sa démarche, C’était un homme de peu de mots mais surtout un homme d’une sincérité inaltérable. Je me souviens de ma première rencontre avec celui que j’appelais Sensei, Maître. C’était à Cannes, en 1980 .
Je devais traduire la conférence de presse de KAGEMUSHA devant un millier de journalistes et de critiques venus du monde entier. J’étais, bien sûr, très intimidée mais je crois qu’il l’était encore plus. Ce qui m’a frappée, c’est son extrême simplicité. Il répondait avec patience, courtoisie et force détails à toutes les questions, même les plus saugrenues. Quand il a bien vite compris que, moi-même, je m’efforçais de traduire tout ce qui était dit, sans résumer ou édulcorer, il m’a instantanément accordé sa confiance. Et c’est ainsi que je suis devenue son interprète attitrée pour toutes les années qui suivirent jusqu’à la fin de sa vie.
Il devenait très volubile quand, avec les membres de son équipe rapprochée, il évoquait ses souvenirs de tournage et les anecdotes innombrables qui nourrissaient son intérêt inextinguible pour la quête qui fut la trame de sa vie : qu’est-ce que le cinéma ?. C’était SA voie à lui, la Voie du cinéma, la Voie qu’il s’était choisi pour la vie. La Voie qui l’avait choisi, lui, pour incarner le cinéma…
On a souvent insisté sur son père descendant de samurai. Kurosawa en a fait état dans son autobiographie. Cela faisait partie de son héritage familial. Mais il appréciait particulièrement le théâtre Nô qu’il fréquentait assidument et le bouddhisme Zen qu’il a beaucoup étudié. Et il aimait s’exprimer en phrases simples qui avaient la profondeur des Koan, ces aphorismes proférés par les bonzes en réponse aux questions des disciples. Je me souviens d’une dizaine de ces phrases, d’apparence banale mais très révélatrices de sa démarche –et dont LES SEPT SAMOURAÏS est un éclatant exemple
– Je préfère être appelé artisan plutôt qu’artiste.
-Un film doit être intéressant, sinon le public ne vient pas.
– J’écris des personnages que je voudrais rencontrer. S’ils sont bien écrits, ils seront inoubliables.
– Un film intéressant, ce sont des histoires vivantes avec des personnages inoubliables.
-Plus un film est japonais, plus il est universel.
-On me dit que je suis « occidental ». Je n’ai, pourtant, fait que des films japonais.
-On me dit qu’il n’y a pas de femmes dans mes films. C’est faux. J’ai écrit des personnages féminins formidables dans au moins cinq de mes films. Il est vrai que ces personnages sont souvent des femmes fortes, un peu effrayantes, parfois. Mais les femmes sont souvent terrifiantes, non ?
-Au lieu de critiquer la guerre, on devrait plutôt se demander pourquoi les hommes continuent de la faire. Raisons esthétiques ? Raisons existentielles ?
Ces Koan tracent de Kurosawa un portrait plus simple, plus spontané, plus inattendu que l’image forgée par une réputation mondiale aussi écrasante que superlative. Il détestait le surnom d’ « empereur » qu’il n’avait rien fait pour mériter. Sur les tournages, en salle de montage, il était, bien entendu, extrêmement concentré et exigeant. Mais c’était la face visible de son perfectionnisme. Avec ses pairs, il se retrouvait comme un apprenti, volontiers émerveillé. Devant ses propres films, il devenait un spectateur qui découvre une belle histoire. Pour la première de KAGEMUSHA à Paris, en 1980, il me fut impossible de le faire détourner le regard de l’écran, alors que, souffrant, il devait, en principe, quitter la salle dans le noir pour retourner se reposer à l’hôtel. Je le voyais refaire le film, ses plans, son montage et il savourait le résultat en sentant le public vibrer à l’unisson. J’avais l’impression qu’il découvrait son film !
C’était cela Kurosawa. Un enthousiasme toujours intact pour de nouvelles aventures. Et c’est ainsi que nous avons découvert « ensemble » les joies du sous-titrage. Rares sont les réalisateurs qui aiment voir leurs images abimées par les sous-titres. C’est pour eux, au mieux, un mal inévitable. Mais quand, à la demande du producteur français et avec l’accord du réalisateur, je me suis lancée dans le sous-titrage de RAN, Kurosawa m’a posé presqu’autant de questions que je lui en posais. Il voulait savoir comment je m’y prenais pour faire passer ses dialogues très travaillés, d’une extrême précision, dans un français lisible par tous et forcément concis. Et il aimait découvrir les « audaces » de traduction qu’il devinait plus qu’il ne les lisait, puisqu’il ne connaissait aucune langue étrangère. Sans le savoir, encouragée par sa curiosité inlassable, je m’approchais du titre d’un livre qui lui a été consacré « Méticuleux comme un démon, audacieux comme un ange ».
À condition d’être à l’abri des innombrables admirateurs anonymes qui se précipitaient sur lui dès qu’il sortait de son hôtel, Kurosawa aimait bien se rendre dans les festivals comme Cannes ou Venise. C’était, pour lui, des lieux privilégiés pour parler de ses films, et souvent, en tout cas dans les années 80, il aimait la fraicheur des réactions de ses interlocuteurs. Il y avait pourtant des questions récurrentes comme celle de connaître sa définition du cinéma. Un jour, au lieu de répondre de manière convenue que c’était « quelque chose qui lui donnait des frissons dans le dos », il a eu envie de partager une hypothèse fondatrice selon laquelle le cinéma, c’était « peut-être » ce qui existait ENTRE une scène et une autre scène, une séquence et une autre séquence, un plan et un autre plan…. Après cela, il m’a raconté comment il avait appliqué cette intuition lors de l’écriture de VIVRE et comment il continuait à chercher dans cette direction sans savoir s’il aboutirait jamais.
Il était un peu agacé qu’on lui parle toujours des SEPT SAMOURAÏS. Pour lui, c’était le film où il avait la force, la santé et le dynamisme de la quarantaine et où il a inventé le tournage à caméras multiples. C’était le film où il avait avancé de manière décisive dans la Voie du cinéma. Il aimait évoquer avec une certaine malice, toutes les difficultés de ce tournage épique qui l’avait amené à faire plier ses producteurs malgré des dépassements de budget considérables.
Mais il adorait, tout autant, que tel ou tel lui parle d’un plan ou d’une scène d’un de ses films qui l’avait particulièrement ému. C’est ainsi qu’il a aimé que je lui parle de cette projection à la Cinémathèque française de UN MERVEILLEUX DIMANCHE au cours de laquelle, pendant cette scène où l’orchestration silencieuse d’un concert imaginaire provoque les applaudissements de la jeune fille du film, les spectateurs dont je faisais partie, avaient applaudi au diapason. L’écran avait envahi la salle et il n’y avait plus de frontière entre l’histoire qu’il nous racontait et la vie réelle. Kurosawa avait réussi son pari, dans ce film comme dans de nombreux autres : ses personnages étaient si vivants, si touchants, si vibrants, si magnifiquement filmés qu’ils nous avaient emmenés dans leur monde, celui de l’émotion et de tous les possibles.

Catherine CADOU

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LES 7 SAMOURAÏS – CREDITS ET FICHE TECHNIQUE

LES 7 SAMOURAÏS Un film de Akira Kurosawa Avec : Toshirô Mifune (Kikuchiyo) Takashi Shimura ((Kanbei) Keiko Tsushima (Shino, la jeune fille) Yukiko Shimakazi (L’épouse) Kamatari Fujiwara (Manzo) Daisuke Katô (Shichiroji) Isao Kimura (Katsushiro) Minoru Chiaki (Heihachi) Seiji Miyaguchi (Kyuzo) Yoshio Inaba (Gorobei)

Producteur : Shojiro Motoki Scénario : Akira Kurosawa Co-scénaristes : Shinobu Hashimoto / Hideo Oguni Directeur de la photographie : Asazaku Nakai Montage : Koichi Iwashita Décors : Takashi Matsuyama Son : Fumio Yanoguchi Musique : Fumio Hayasaka Consultant artistique : Kohei Ezaki Expert sabre : Yoshio Sugino Expert archer : Ietaka Kaneko Assistant réalisateur : Hiromichi Horikawa © 1954 Toho Co., Ltd. Tous droits réservés

 

LA RABBIA
en association avec
LE PACTE
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